Jean-Paul Hébert (1946 - 2010)

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Hommage de l’IRSEM

L’IRSEM, Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire, par la voix de son directeur et de son directeur scientifique, rend hommage à Jean-Paul Hébert dans un texte publié dans La lettre de l’Irsem 2010 -n°5 et mis en ligne sur le site de cet institut

Hommage à Jean-Paul Hébert


La traversée d’un océan insuffisamment exploré


Nous avons appris en cette fin du mois de juillet le décès du chercheur Jean-Paul Hébert, spécialiste d’économie de défense. Son expertise, trop rare en France dans ce domaine, sa gentillesse, sa fidélité à ses engagements, nous manqueront. Il avait participé ces dernières années à plusieurs de nos travaux, d’abord en animant des Forums du C2SD, puis en participant aux réflexions de l’IRSEM, pour dynamiser ce champ très particulier des approches économiques de la défense, dont il était l’un des pionniers incontestés dans notre pays. Des années durant, Jean-Paul Hébert nous avait prévenus de l’importance qu’il y avait à ne pas laisser ce secteur de connaissance en friche. Il nous mettait sans cesse en garde contre le retard français en la matière, et contre ses conséquences possibles. Le chemin qu’il a tracé, les pistes qu’il a lancées, doivent désormais être poursuivis. La génération de jeunes chercheurs qu’il a inspirés, et qui terminent leurs recherches actuellement, sauront grâce à ses enseignements relever le défi en ce sens.

par Frédéric Charillon, directeur de l'Irsem

Passionné de voile, Jean-Paul Hébert avait traversé l’Atlantique en 2006. Mais il a toute sa vie exploré un autre océan que peu d’universitaires français ont choisi comme espace d’investigation : celui de l’économie de la défense. Titulaire du CAPES de sciences économiques et sociales, il a enseigné en lycée de 1974 à 1991. Après l’obtention de sa thèse à l’Université Pierre Mendès France Grenoble II qui reçut le prix du secrétariat général de la défense nationale, il rejoint l’EHESS en tant qu’ingénieur de recherche. Au sein du Cirpes (Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques), il animait depuis 1995 un séminaire consacré à « Production d’armement, production de sécurité et relations transatlantiques ». Il était une des figures du Centre avec Alain Joxe bien sûr. Parallèlement, il exerça de multiples activités de conseil auprès du Ministère de la défense que ce soit à la Commission nationale pour l’élimination des mines anti-personnelles (1999-2005) ou bien le Conseil économique de la défense (1999-2003). Sans oublier ses interventions au sein des écoles spéciales militaires de Saint-Cyr Coëtquidan. Dans le paysage universitaire, Jean-Paul Hébert était incontestablement une personne à part pour trois raisons. Tout d’abord, ses objets de recherche indéniablement. Peu de spécialistes en France s’intéressent aux budgets de la défense, aux dépenses comparées des Etats occidentaux, à l’économie industrielle de la défense. Jean-Paul Hébert le faisait en économiste rigoureux. Il ne laissait rien passer, tant à ses chiffres qu’à ses collègues. Ensuite, son sens aiguisé de la réflexion dans le domaine stratégique. Je me rappelle que, lors d’un colloque de l’Association franco-canadienne d’études stratégiques, tout le monde l’attendait sur ses sujets de prédilection comme les exportations d’armements ou les mutations du marché de l’armement. Mais il avait décidé de traiter, c’était en 2005, des « relations stratégiques euro-américaines entre désamour et désunion ». La présidente en était surprise mais immédiatement séduite. Nous l’étions tous en l’écoutant. Enfin, sans jamais sacrifier la rigueur de tout universitaire, il ne cachait pas son militantisme. Catholique de gauche, il était l’invité régulier des fameux Pugwash conferences on science and world affairs, mais aussi président du Centre normand de documentation sur la paix, membre du bureau de l’association ECCAR (Économistes contre la course aux armements), membre du comité de parrainage du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits situé à Lyon. Par là, il prouvait que l’on pouvait travailler sur les questions de défense de façon scientifique tout en préservant un espace de convictions. Un équilibre impossible ? À condition de distinguer les espaces d’engagement, autrement dit de ne pas confondre les genres. Jean-Paul Hébert n’a jamais franchi ces lignes lorsqu’il produisait son savoir. Preuve vivante que l’universitaire, comme le soulignait Aron, « ne doit pas fuir, en dépit de tous les risques, les objets d’études à propos desquels les partis s’opposent et les passions s’enflamment ». Jean-Paul Hébert l’a fait avec probité et élégance.

La communauté savante perd un de ses rares économistes français de la défense. Ces derniers doivent peut-être se sentir encore plus seuls aujourd’hui. Ils ont perdu un ami. Ils ont perdu un des leurs. Mais ce que nous pouvons garder comme souvenir et qui ouvre la voie vers l’avenir, c’est la détermination de Jean-Paul Hébert. Aux journées confluences organisées par l’Irsem en octobre 2010, il en appelait à l’ouverture des sources documentaires, à la nécessité de poursuivre le chemin de la réflexion. Ecoutons-le et poursuivons cet effort. Ce serait probablement le geste de reconnaissance le plus naturel envers Jean-Paul Hébert.

par Frédéric Ramel, directeur scientifique de l'Irsem